Le titre du livre est volontairement provocateur. Dans Faire de la France une démocratie (éd. Passés composés), Raphaël Doan, essayiste agrégé de lettres classiques, auteur de plusieurs essais historiques remarqués, invite à une réflexion sur la notion même de démocratie. Au sens étymologique du terme, la France n’en est pas une, selon lui. Elle pourrait l’être, néanmoins, si Emmanuel Macron avait recours, dans la dernière phase de son mandat, au référendum. L’hypothèse d’un référendum à choix multiples, envisagée, permettrait, selon Raphaël Doan, d’éviter l’écueil du plébiscite pour ou contre Macron. Ce président entravé, sans majorité depuis sa réélection en 2022, s’y résoudra-t-il ? Éléments de réponse avant l’entretien de deux heures sur TF1, ce mardi 13 mai.

Le Point : Dans votre livre, vous défendez l’importance du recours régulier au référendum et plaidez en faveur d’un régime « mixte », une « démocratie semi-directe ». De quoi s’agirait-il ?

Raphaël Doan : L’idée est de prolonger la logique déjà présente dans notre Constitution, qui associe une part de monarchie – l’élection présidentielle au suffrage universel – et une part de vraie démocratie, qui consiste à permettre aux citoyens de se prononcer directement sur les lois les plus importantes. Il s’agit au fond de s’en remettre au sens antique de la démocratie : que le peuple gouverne par lui-même, en l’associant à nos institutions modernes. C’est déjà techniquement possible grâce à l’article 11, mais cela fait maintenant vingt ans qu’il n’a pas été utilisé.

Vous écrivez qu’on se trompe d’ailleurs sur le sens même du référendum, en le réduisant à un simple plébiscite. Pourquoi ?

On croit à tort que le référendum est un vote pour ou contre le président. Or, il s’agit avant tout d’un outil de résolution des blocages politiques. Dans une situation comme celle que nous connaissons, une Assemblée nationale divisée en trois blocs, le référendum permettrait de dégager des majorités claires et de restaurer une capacité d’action. Il ne s’agit pas de se prononcer sur la popularité du chef de l’État, mais de valider une réforme sur un sujet fondamental. Cela peut aller de l’énergie à l’immigration, en passant par les questions sociétales : pour ne prendre qu’un exemple, l’examen des deux lois sur la fin de vie vient de débuter à l’Assemblée. Les sondages montrent qu’une écrasante majorité de Français sont favorables à l’euthanasie et au suicide assisté. Un référendum permettrait de trancher rapidement et clairement cette question.

Avec de la volonté politique, le référendum peut être un véritable outil de gouvernement. Des pays comme la Suisse ou Taïwan l’utilisent régulièrement avec succès, sans tomber ni dans la « tyrannie de la majorité », ni dans le populisme. La Suisse, en particulier, montre qu’un État moderne, qui compte plus de 8 millions d’habitants, peut fonctionner avec une forte dose de démocratie directe.

Emmanuel Macron a-t-il les moyens de « faire de la France une démocratie », pour reprendre le titre, un brin provocateur, de votre ouvrage ?

C’est possible mais cela nécessiterait un acte vraiment audacieux : il faudrait qu’il se décide à soumettre au vote des Français des sujets décisifs. En a-t-il juridiquement les moyens ? Pas tout à fait, dans la mesure où l’état actuel du droit limite le champ des questions que l’on peut poser par la voie d’un référendum. Il faudrait donc réviser la Constitution, ce qu’il avait un temps envisagé de faire. Il y a également une contrainte politique : étant au pouvoir depuis huit ans, il peut hésiter à soumettre au référendum des sujets sur lesquels il a déjà fait adopter des réformes, pour certaines au forceps. Il faudrait qu’il accepte la possibilité que ses mesures soient détricotées. Mais quelles autres options s’offrent à un président entravé, sans majorité depuis sa réélection en 2022 ? S’il s’y résout, il laissera un legs historique, ouvrant une nouvelle ère de la V^e République. Il a l’occasion de faire de la France une véritable démocratie.

Vous suggérez d’organiser plusieurs référendums en même temps, ce qui semble être une option envisagée par le chef de l’État ?

Oui, ce serait une façon d’éviter l’écueil plébiscitaire : on ne vote pas pour ou contre une personne, mais sur plusieurs questions concrètes. Cela pose des questions pratico-juridiques nécessitant peut-être une réforme préalable, mais ce serait, à mon sens, bénéfique. Chaque question serait distincte et ni les partis d’opposition ni les électeurs ne pourraient se contenter de tout rejeter en bloc. Cela démontrerait également que tous les présidents de la V^e République ne sont pas obligés de suivre l’exemple du général de Gaulle, qui avait instauré une règle morale : en cas d’échec, le président démissionne. Même si tous ne l’ont pas appliquée, elle reste présente en sous-texte. Si un président met son mandat en jeu à chaque fois qu’il organise un référendum, il finit logiquement par ne plus en faire… En rompant avec cette logique, Emmanuel Macron créerait un précédent intéressant.

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Vous consacrez un passage à la médiocrité du débat politique. Ne prendrait-on le risque de faire voter les Français sans qu’ils soient bien informés ?

Je rappelle qu’un référendum est précédé d’une campagne référendaire, qui porte nécessairement sur le fond et donne lieu à de véritables débats approfondis. Le risque est plus grand dans le système représentatif actuel. Quand on vote pour un candidat aux élections législatives, on vote pour tout un programme, sans forcément bien le connaître, et en même temps pour une personne, qu’au demeurant on connaît souvent mal. Dans le cas d’un référendum, les enjeux sont mieux définis et la campagne ne peut pas se résumer à des attaques ad hominem.